Pilotage simultané : un phénomène sous-estimé sur les avions à commandes de vol classiques
Le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA) alerte sur un risque opérationnel trop longtemps négligé : le pilotage simultané, ou dual input, sur les avions à commandes de vol classiques.
Ce phénomène se défini comme une situation où les deux pilotes agissent en même temps (parfois de manière antagoniste) sur les commandes de vol. Cela était traditionnellement associé aux avions dotés de mini‑manches latéraux, du fait de la difficulté pour chaque pilote de détecter visuellement l’action de l’autre et de l’absence de retour d’effort dans le manche. Des alarmes visuelle et sonore ("Dual input") avaient donc été conçues dans ces avions pour signaler cette situation. Cependant, le BEA souligne que ce risque concerne également les avions dotés de commandes de vol dites classiques, dépourvues de ces dispositifs de détection, ce qui en complexifie la gestion.
Le rapport du BEA cite notamment l’incident grave survenu le 5 mai 2022 à bord d’un Boeing 777 (immatriculation F‑GSQJ) d’Air France, lors d’une approche ILS à Paris‑Charles-de‑Gaulle. En pilotage manuel, et en l’absence de repères visuels, le copilote (PF) avait exprimé son étonnement face à l’inclinaison de l’appareil. Ce à quoi le commandant de bord (PM) a réagi par une action à piquer opposée, entraînant des actions simultanées sur les commandes pendant près de cinquante‑trois secondes. Cette situation avait provoqué une désynchronisation des commandes en tangage pendant douze secondes, avec deux épisodes brefs de désynchronisation en roulis. Ce type de désynchronisation, conçu pour éviter un blocage des commandes (par givrage ou FOD), est réversible sur Boeing dès que les efforts opposés retombent sous le seuil de déclenchement.
Le BEA souligne que, contrairement aux avions électriques, les avions à commandes traditionnelles ne sont généralement dotés d’aucun dispositif sonore ou visuel pour alerter de telles interventions simultanées. Ceci rend la prévention du phénomène plus vulnérable à l’erreur humaine. En effet, la transmission des commandes se doit ainsi encore plus d’être verbalisé. Cela reste cependant une procédure fragile, surtout en situation de stress et dans des phases de vol critiques.
L’enquête a aussi révélé que très peu d’exploitants avaient mis en place une surveillance systématique de ce type d’action dans les données de vol. Toutefois, à la suite de cet incident, l’exploitant a introduit un système de détection systématique des actions simultanées sur les commandes (notamment en tangage, durant plus d’une seconde), et a analysé rétrospectivement les données des cinq dernières années pour y identifier des occurrences similaires. Il en est ressorti qu’en 2022, le taux d’événements enregistrés sur Boeing 777 était de 0,4 pour 1 000 vols, une statistique comparable à celle observée sur la flotte Airbus de l’entreprise (0,44 pour 1 000 vols), alors même que le signalement y est plus fréquent, grâce à l’alarme "Dual input". Le BEA en conclut que la surveillance du pilotage simultané devrait être portée avec la même attention, qu’il s’agisse d’avions à commandes classiques ou électriques.